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 Il ne faut jamais

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Solène
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Solène


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Date d'inscription : 03/05/2007

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MessageSujet: Il ne faut jamais   Il ne faut jamais Icon_minitimeLun 24 Sep - 23:51





Ce Martin-là, gras à saucisse, personne ne l'aimait dans ce canton du Calvados, et il ne faisait rien pour l'être ! Au contraire, la moindre de vos remarques pouvait donner prise à la scie de sa méchanceté d'esprit. Un vrai galeux de caractère ...
Personne ne l'aimait donc, et cependant, tout le monde était bel et bien obligé d'aller se risquer de quelques mots, deux fois la semaine lorsqu'il arrêtauit sa camionnette sur la place de l'église.

Martin, c'était le seul boucher-charcutier ambulant du coin. Celui qui, pendant les mois chauds, vous envahissait le village avec ses lourdes mouches vertes qui le suivaient par essaims bruyants, et qu'il encourageait à pondre sur ses viandes en mauvais état, et même pas défendues par une simple mousseline de coton. Et celui qui, l'hiver, se payait le plaisir de prendre son temps, et plus, à servir lentement, lui d'un côté, à l'abri du froid dans sa boutique roulante chauffée par un bidon de braises, les autres, dehors, à se faire mordre par les chiens de glace, aux morsures invisibles certes, mais combien présentes.
Et pas question de se plaindre ni des odeurs, ni de cette lenteur voulue ! Il vous aurait tout de suite claqué sa bâche au nez et serait parti, rouge de colèr e comme s'il avait eu affaire à des ingrats, oublieux du mal qu'il se donnait pour venir les servir jusque chez eux.
Tiens, une vraie chance pour certaines femmes qu'il soit resté célibataire, ce sauvage-là !
Sa spécialité, c'était le boudin, beau mais assurément trafiqué et grossi de sciure. Quant à ses viandes, taillées n'importe comment dans la chair blême de bêtes sèches qu'on ne savait pas reconnaître, elles ne pouvaient, vu leur tout de muscles en fibres, qu'avoir brouter des ronces après s'être épuisées à aller les chercher au sommet d'une montagne.
Martin, lui, par contre, médisait-on avec rancoeur, regorgeait d'autant de lard sur le corps à en faire un cochon pensant que de tonneaux de suif - une fortune qu'il gardait au frais dans un coin de sa cave. Et, ajoutait-on, s'il n'aimait pas les gens, c'était parce qu'il leur devait cette richesse, et que le bon goret renie les mamelles nourricières pour, ensuite, grogner contre elles ; d'où, chez lui, ce coriace rabrouement de sa clientèle. Procédé que peu de commerçants oseraient se permettre, à moins de souhaiter qu'on ne les aide à plier plus vite boutique.
Seulement, la chance de l'un et la malchance des autres étaient, je le répète, que, dans ce pays à grandes distances, on ne pouvait faire autrement que de passer par lui, la ville étant trop loin et personne ne voulant se priver de viande rien que vous déplaire à ce mauvais caractère.
Ah ! si la concurence d'un autre boucher-charcutier était venue rétablir la justice, ce Martin-là aurait aussitôt perdu toute royauté et va-t-en scier dans la dignité de ceux du canton d'à côté !

Et, penserez-vous, cette absence de concurrents devait également aider à arrondir le magot, puisqu'il pouvait imposer les prix qui chatouillaient le plus agréablement son portefeuille.
Non, et, à l'avouer, il ne gagnait pas grand-chose et moins qu'on ne croyait, perdant même - et cela sans y ajouter de regrets.
Mais alors, pourquoi rouler commerce ? Par nécessité de bouger, afin de se sentir à l'aise loin d'un chez-soi déplaisant ? Par besoin d'engueuler à tout bout de scie ou de dominer le monde ?
Non, non et non ! S'il traînait sur les routes, ce n'était qu'à contrecoeur en forçant sa nature insociable car il fallait pour sa sécurité qu'on le vît toujours en public, quelque part ou ailleurs afin qu'il restât dans le souvenir des gens, chacun pouvant témoigner de l'avoir vu et bien vu loin de là où il était souhaitable qu'on ne l'ait point vu.
En fait, ce boutiquage de viande lui servait à cacher un autre métier, malhonnête mais complémentaire et pire encore de sang et de désossage.

Où croyez-vous que luisaient à présent les lingots d'or de M. de la Chapelle, le châtealain de Courvirant, qui venait de transformer cinq hectares de forêt en ce métal-là ; finances et Monsieur partis comme ça, sans prévenir, et que Mme de la Chapelle attendait encore, en vain malgré les recherches et la prime offerte à la gendarmerie ?
Où pensez-vous que bruissaient maintenant les louis que caressait et multipliait si bien le bijoutier de Barlurin, disparu avec, depuis six mois, absent au point que sa bijoutière d'épouse s'en était tellement laissée dépérir qu'on venait de l'enterrer, alors qu'il n'était même pas revenu, et pour cause, mettre la plus petite fleur sur sa tombe ?
Non seulement ces deux-là et leur or mais aussi, en moins de trois ans, une douzaine d'autres nantis de fortune : argent et maîtres partis sans laisser le moindre sillage, mettant la police du département dans l'embarras et l'agaçant au point qu'elle passait son temps à bourdonner de questions afin de pouvoir apprendre ce que les gens savaient et qu'elle, elle ne savait pas.
Ouais, où donc pouvaient-ils être partis ceux-là, en laissant les leurs dans la tristesse et la police dans les tracas ? Oh ! pas bien loin de la sous-préfecture, dans cette maison de village pareille aux autres maisons des autres villages du pays, sans plus d'embellissements que Martin aurait pourtant pu se payer avec toutes ces richesses qui n'allaient cependant pas tarder à déborder de la fosse d'aisance désaffectée où il les cachait.

Mais il était prudent, le bougre ! Il se gardait bien de laisser le luxe cligner de l'oeil aux voisins et de faire signe qu'il gagnait plus que ne gagne un commun viandeur ambulant. Et puis, il n'avait pas envie de somptuosités : son besoin, c'était simplement l'argent, en métal ou en billets. De le savoir à côté, tout proche, même s'il ne lui servait à rien, lui suffisait. C'était son jouir. Et il aimait autant l'argent que le sang. Il adorait tailler n'importe comment dans n'importe quelle viande, humaine ou animale. La viande, c'était toujours de la viande et, du moment que le sang dégoulinait, il pouvait devenir boudin ; et le boudin, animal ou humain, c'était pour Martin l'or du corps, des lingots souples et beaux qui, hélas, ne pouvant se conserver longtemps, s'avariaient vite et qu'il était bien obligé de vendre, car il n'aimait pas jeter.

Ce matin là, Martin remplit sa camionnette comme à l'habitude avec des viandes diverses, entières ou en morceaux, et, comme certaines fois, sans doute à l'occasion de bêtes à meilleur sang, d'une belle longueur de gros boudin ne demandant qu'à éclater dans les poêles à frire.
Et il partit, d'avance en mauvaise humeur contre ses clients de la journée qui ne méritaient pas une si belle marchandise.
Il venait de parcourir quelques kilomètres et traversait les herbages du Preux, lorsqu'un homme, se levant d'un talus herbeux où, assis, il semblait l'attendre, vint se mettre résolument en travers de la route et le força à s'arrêter ou à l'écraser.
Martin choisit de s'arrêter, mais il ne manqua pas de mots aigus pour le lapider d'un jet de phrases insultantes.
L'autre fit celui qui n'entendait pas et, roulant des yeux pleins de menaces, comme d'autres auraient brandi un révolver chargé, il exigea, comme ça, tout d'un tout, que Martin lui donne le coeur du mouton qu'il transportait quasi entier pendu à un crochet de sa camionnette.
Martin en resta soudain bouche vide.
- Donner, non ... me vendre, rectifia le quémandeur, et il fixa lui-même un prix si bas que c'était comme le donner puisqu'il proposa et tendit aussitôt, pour bien montrer sa solvabilité, un ancien sou de bronze qui n'avait plus cours depuis des lustres.
Si Martin n'eut pas de réplique cinglante devant le toupet de celui-là et se maîtrisa, c'est qu'en effet il y avait un mouton entier, écorché et vidé, pendu à un des crochets, là, derrière ; mais, ne le voyant pas du dehors, personne ne pouvait le savoir, Qui était donc ce devineur-là, main tendue ferme avec un vieux sous au bout.

A sa tignasse rousse, il trouva qui était ce Viking.
Ce ne pouvait être que ce gueux de Pilavoine qu'il n'avait jamais vu mais dont la redoutable réputation de soi-disant neveu du diable et fabriqueur de mauvais sorts coulait comme de la cire noire sur la tranquilité des gens. En bref un finaud qui mettait le mal où il était déjà et en défaisait lorsqu'il ne s'y trouvait plus. Un plus malin qui gagnait à profiter de la peur des plus bêtes.
Mais lui ne se laisserait pas intimider par les manières de cet attrapeur de nigauds, aussi, le diable ne lui faisant ni chaud ni froid, Martin refusa net et fit le geste méprisant de l'écarter d'une rapide balayade de bras, tout comme il aurait nettoyé sa route d'une gênante toile d'araignée.
Là-dessus, il démarra sec en lui vidant un ordre, visqueux de mépris :
- Laisse-moi passer mon chemin, sale tripatouilleur de diableries ...
Pilavoine ne montra pas combien l'insulte lui coulait sur le visage, pire qu'un crachat, et il lui dit calmement, en se reculant :
- Tu l'auras voulu.
A peine la camionnette partie, il se sortit vivement de sa veste, en retourna les manches en deux coups secs comme on dépiaute un lapin, se la remit sur lui ainsi à l'envers et visa de l'index gauche la voiture à Martin tout en lui tirant, telles des balles d'acier, un chapelet de mots si haineux et si épineux qu'ils lui écorchaient les lèvres, mettant des grimaces de douleur plein son visage taché de roussetées.
Martin n'alla pas loin. Il fut de nouveau arrêté. Mais, cette fois, il frreina en se mettant le masque d'un large sourire et, obéissant avec plus ne politesse que nécessaire, il s'immobilisa à hauteur des deux gendarmes qui, impassibles, lui demandèrent à voir un peu dans son échoppe ambulante.
Et, pendant que Martin descendait avec empressement pour aller défaire la bâche de derrière, il apprit les raisons de leur intervention.
Une fois encore, on venait de signaler une disparition mystérieuse. Là, maintenant, il s'agissait du conseiller général, le grainetier de Saint-Pierre, ainsi que de sa valise aux gros billets qui lui servait de coffre-fort.
- Oh ! encore ! Tout de même ! Et vous croyez que c'est moi ? s'exclama Martin, tout en délaçant sa bâche et en feignant l'étonnement, lui qui aurait pu leur faire gagner du temps pour retrouver les deux manquants, puisqu'ils étaient chez lui : la valise tassée dans la fosse d'aisance ; le grainetier en personne, ouvert du nombril au sternum et détripé, attendant, accroché à la cave, de passer au hachoir pour devenir un bon tas de farci relevé d'ail, de poivre et de persil ; son sang déjà en boudin, là, prêt à être vendu au premier qui le voudrait : les gendarmes eux-mêmes si envie leur prenait d'en goûter dix ou vingt centimètres !

- Nous, on croit rien, rétorqua l'un des deux, comme indifférent à sa misssion. On cherche, c'est les ordres, et, si on trouve, c'est la chance.
- Et l'avancement ... cligna de deux mots Martin, qui se sentait de bonne humeur.
Il finit d'enlever la corde qui rapprochait et fermait les deux ailes de sa bâche et l'écarta en faisant avec générosité l'invitation à regarder dedans.
Tout de suite, les gendarmes eurent un violent rejet du corps et leurs traits se décomposèrent.
- Eh, dites donc, vous ! réussit à articuler celui qui était le chef.
Et de serrer le bras de Martin dans l'étau de sa solide main dure qui, toutefois, tremblait un peu.
Pendu par les deux pattes de derrière au crochet de droite, le mouton à la peau rosie montrait son ventre bien nettoyé de ses tripailles mais, au lieu d'avoir une tête de mouton - ce qui eût été naturel - il portait une tête humaine, et, comble de malchance, c'était justement celle que ces messieurs cherchaient, celle du grainetier de Saint-Pierre, toute verte, aux cheveux en touffes hérissées, collées par les sueurs de la mort, les yeux ronds, sortis à tomber des orbites et la langue bleuie, raide, tirée dehors comme pour se moquer de Martin.
Et, faisant face à cette macabre combinaison physique, mise au crochet de gauche une valise de cuir épais, qui s'ouvrit d'elle-même, grinçant comme d'un bref rire méchant, et laissant cascader un flot de liasses ... joyeux billets de dix, cent et cinq cents.

Voler et assassiner, passe encore, on peut toujours essayer et se glisser entre les accusations, mais se moquer et mécontenter un personnage apparenté au diable, prenez garde, ça, il ne le faut jamais.

Claude Seignolle, Contes récits et légendes des pays de France.


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FRANCK

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MessageSujet: Re: Il ne faut jamais   Il ne faut jamais Icon_minitimeJeu 20 Déc - 0:26

queen jocolor g154
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