Solène Admin
Nombre de messages : 15107 Age : 71 Date d'inscription : 03/05/2007
| Sujet: Comme une odeur de loup Mar 1 Jan - 12:46 | |
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Comme une odeur de loup
A force de "han" et de jetées de masse, en-veux-tu-en-voilà, le vieux Bolasec finit par abattre la cloison en torchis qui séparait l'ancien fournil de la bergerie, l'un volant la place de l'autre.
Il fut aussitôt revêtu, masqué et coiffé d'une poussière au moins deux fois centenaire qui le força à cracher d'irrespectueux jurements. Derrière lui, le troupeau resté, matelas bêlant à qui bêle le mieux, provoqué par les sons creux de cette cloche de maçonnerie, se tassa encore plus jusqu'à faire un beau tas compact, à ficeler et à emporter comme ça, viande entrefilée de laine.
Mais Bolasec ne s'arrêta pas pour autant de briser à coups redoublés les ossements de bois sec du colombage, noyé dans l'argile dure. Et, de voir ce mur, parasite depuis qu'on ne faisait plus le pain derrière, partir ainsi en morceaux au profit de la bergerie qui allait enfin pouvoir s'étendre par là-bas, il rotait de plaisir.
Comme il achevait de rompre le haut du pan gauche, quelque chose de la grosseur d'une brique, enveloppé dans un chiffon rouge déteint, tomba d'entre-cloison et plafond ...
Sûr ! il venait de dénuder une cachette jusqu'ici bien gardée.
Se penchant trop vite, il geignit un coup pour ses reins qui, ne tenant pas compte des cinq tours de la rugueuse ceinture de flanelle destinée à les soulager, en profitèrent pour lui tenailler les chairs. Le chiffon défait et jeté, il lui resta une sorte de gros livre entre les mains. Bigre ! que faisait là, caché telle une honte, ce tas de feuilles jaunâtres cousues ensemble et fortement dentelées par l'usure sur trois côtés, semblable à une assiette de crêpes saupoudrées de moisissures.
Il s'approcha d'une lucarne et put lire dessus, tracé par une main malhabile, mais qui s'était efforcée de respecter la coquetterie de l'écriture : Les Clavicules de Salomon ... ou les secrets pour servir aux sorciers méchants.
Ca alors ! des Clavicules ? Et malgré la fainéantise de sa mémoire, paresseuse à lui faire oublier jusqu'à ses dettes, Bolasec comprit et s'exclama comme si tout ce papier s'enflammait soudain, lui brûlant les poils et la couenne des mains. Mais il ne lâcha, ni ne jeta le livre du Diable : en dehors des risques, il valait certainement pas mal d'argent ; tant pis s'il était soufré.
Ce ne pouvait être que les méchants secrets du défunt trisaïeul, Lucas Ploudry, le réputé sorcier d'alors, manant d'Enfer depuis longtemps parti dans les feux de dessous terre, quasi porté par les longs bras velus du vieux Satan en récompense à tout le mal qu'il avait fait au pays pour le seul profit de l'escarcelle de ce diable-là.
Bolasec ne douta plus qu'il tenait tout bonnement le grimoire de ce Lucas. Il aurait dû aussitôt s'en dépétrer et courir le porter au curé qui se serait chargé de lui donner à goûter l'eau du bénitier, rien que pour lui apprendre à desservir Dieu ; mais un petit coup de curiosité n'était pas pour déplaire à notre bonhomme, même si ça devait lui cuire un peu les yeux.
Il remarqua qu'une tresse d'herbes décolorées, vieilles du temps de Luca Ploudry, dépassait d'entre deux pages. Le livre se laissa ouvrir là, sans façon, et nulle flamme ne gicla le soufre infernal au visage de Bolasec qui, d'un geste naturel, mit l'herbe entre ses dents et la mâcha comme il le faisait dix fois par jour de toutes celles traînant à portée de main ; façon de goûter ainsi l'état de santé de la nature - et il n'était pas le seul à faire ça.
On peut le dire avec juste raison, là-dedans c'était écrit à la diable : des boutures de phrases à mots n'y comprendre ; des tournures barbares, rebelles à l'oeil et utiles rien qu'à ceux qui ont reçu l'instruction des écoles. Mais, au milieu de ce langage savant, se trouvait un passage en français clair qui se laissait lire à travers : Pour devenir loup toi-même.
Voilà ce que lut Bolasec avec un jovial étonnement. Dessous, en une vingtaine de lignes où certains mots étaient çà et là soulignés d’un trait rouge pour retarder l’œil et l’obliger à les relire deux fois, on disait comment s’y prendre pour composer le charme métamorphosuer …
Et c’était pas facile ! Qu’on en juge ! … Rien que ces trois poils de louve grise pris sur son ventre au moment ou elle louvète, cela juste à la deuxième lunaison de septembre, et frottés ensuite un par un dans la toute dernière laissée d'un loup noir ayant déjà mordu à l'homme et en pleine crise d'alouvi, relevait de la folie la plus cocasse.
Mais ce n'était rien à côté du reste : ces trois poils ainsi enduits devaient être joints aux trois premières herbes poussées sur la tombe d'un berger bossu ayant tué autant de loups que de moutons et lui-même mort d'une morsure de loup en passe de ligner ; poils et herbes devant ensuite être réunis à ne faire qu'une tige unique mise sans qu'elle le sache dans la poche de tablier d'une bergère innocente et y rester jusqu'au moment où un chaud luron la culbuterait à l'improviste devant un troupeau de quarante-neuf têtes de brebis, pas une de plus, pas une de moins ! ...
Pour le coup, à se faire l'image de ces deux-là forniquant sous les bêlements, Bolasec se sentit une suce d'envie partout sur le corps, même qu'il se serait jamais cru capable d'avoir encore tant de goût pour ce besoin de jeune. Enervé, il mâcha encore plus vite l'herbe à Lucas Ploudry, et comme elle laissait à la bouche un mauvais goût, il ne tarda pas à la cracher, après en avoir avalé la moitié en salive.
Et, soit cette soudaine transpiration âcre qui lui poissait la peau à la chemise ; soit le contrecoup des efforts qu'il venait de faire pour abattre la cloison, voilà Bolasec brusquement courbattu et scié des genoux : mal partout dans le dos ; jambes ne pouvant pas le porter, au point qu'il se cuta lourdement sur les gravats, grognant une subite mauvaise humeur sans même remarquer que le troupeau, là, à dis mètres de lui, bêlait une terreur croissante au point d'attirer bientôt les trois chiens, aussitôt hargneux d'aboiements secs, montrant crocs, poils hérissés, queue entre les pattes, mais arrêtés à l'entrée de la bergerie, retenus entre courage et peur. Quant au livre de Lucas Ploudry, Bolasec l'oublia comme s'il ne l'avait jamais vu. Maintenant abruti, essouflé à se croire revenir du bout des bois après une longue marche harassante et blessante, il remarqua enfin le furieux tapage des uns et des autres et voulut se lever pour aller les faire taire.
Hélas, il ne put que se mettre à quatre pattes et, au lieu de leur crier des ordres apaisants, il leur hurla des méchancetés agressives qu'il ne comprenait pas lui-même. Mais il ne s'étonna de rien et, toujours posé sur les genoux et les mains comme si c'était une meilleure façon de marche qu'il avait jusqu'ici ignorée, il avança tête dressée vers ses chiens qui reculèrent en redoublant de rage autant que de crainte.
Le fils et la mère Bolasec, qui sarclaient derrière la ferme, entendirent le vacarme et accoururent pour voir de quoi il retournait. En regardant la porte de la bergerie que les chiens menaçaient sans oser l'approcher, le gars entrevit brièvement et eut un sursaut de peur, mais garda son calme devant la mère qu'il força à entrer se mettre au sûr dans sa chambre.
Puis, décrochant un des fusils pendus sur la paupière de la cheminée, il courut au plus près de la bergerie tout en ordonnant aux chiens de s'écarter. Il mit du temps avant de tirer au bon moment sur ce loup qui se roulait par terre avec le père, au point de laisser croire, vêtements sur poils, qu'ils n'étaient qu'un seul fait des deux.
Mais le malheur voulut que son plomb n'atteigne que le père qu'il retrouva sans vie, face contre terre, bave aux lèvres et mordant le tiède fumier des moutons à l'épouvante soudain calmée.
Claude Seignolle, Contes, récits et légendes des pays de France
FIN
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Sylvie
Nombre de messages : 8134 Date d'inscription : 04/07/2007
| Sujet: Re: Comme une odeur de loup Mar 1 Jan - 13:22 | |
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ABIGAIL Co-Admin
Nombre de messages : 1708 Age : 42 Date d'inscription : 28/05/2007
| Sujet: Re: Comme une odeur de loup Mar 1 Jan - 14:13 | |
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MAIRiE
Nombre de messages : 1201 Age : 53 Date d'inscription : 25/08/2007
| Sujet: Re: Comme une odeur de loup Ven 11 Jan - 11:17 | |
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FRANCK
Nombre de messages : 14501 Age : 67 Date d'inscription : 03/05/2007
| Sujet: Re: Comme une odeur de loup Sam 12 Jan - 12:15 | |
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| Sujet: Re: Comme une odeur de loup | |
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