Elle sourit au vide. Cloîtrée dans une salle d'hôpital, elle essaie de se souvenir.
Comment c'était, la faim. Elle est arrivée dans cette chambre au tout dernier moment de sa vie.
Et ils ont dit qu'elle allait mourir. Quels cons !... elle pense.
Maintenant, parce qu'elle n'est plus capable de s'occuper d'elle-même, elle est condamnée à devoir manger.
Conditionnée, c'est comme cela qu'elle s'appelle lorsqu'elle est seule.
C'est dur, elle écrit sur un petit cahier. Elle n'écrit pas j'ai envie de mourir, laissez-moi partir, je veux crever.
Non ! Jour après jour, elle sent son estomac gonfler, revivre. Ses joues aussi.
Elle claironne partout, ça fait un mal de chien.
Le soir, allongée dans des draps stériles, elle repense aux soirées d'autrefois, cramponnée au radiateur, une cigarette à la main.
Une nuit, accoudée à la fenêtre, elle se dit je dois laisser tomber tout cela.
Elle a appris à faire autre chose que mourir. Elle veut voir comment ce sera, la vie.
A ce moment, quelque chose se brise en elle.
Son coeur lâche à cette parole de lâcheté.
Des heures plus tard, la poitrine incroyablement douloureuse, un homme lui explique que ce n'est que passager.
Plus tard, elle reprend ses activités. Les psy, les ateliers, les repas.
Elle n'en peut plus. Elle dit, à travers ses pleurs, si c'est cela la guérison, j'en veux pas. Vous m'entendez?! Elle a retrouvé la capacité de crier, on le lui fait remarquer.
La capacité de pleurer aussi.
Sur une page blanche, elle fait deux colonnes. Les points de vie, ceux de mort.
Elle trouve des raisons de vivre. De plus en plus chaque jour.
Par exemple, recommencer à se maquiller. A sourire. A rougir aux commentaires de l'aide-soignant.
Elle attend désormais impatiemment les repas. C'est comme un rituel. Tout la fait sourire. Bien sûr, elle repense à retomber dans cette dépendance de contrôle, mais elle sait qu'elle ne le fera pas. Pour son mari. Pour ses enfants.
Il lui aura fallu un an d'hospitalisation pour retrouver la force de vivre. Elle pense c'est si bon de se blottir sous une couverture devant un film.
En sentant son coeur, son corps vivre...